Une auto construction audacieuse
Alors qu’elle était en chantier, on vous avait déjà présenté cette grande maison auto-conçue et auto-construite qui visait les performances des maisons passives. Curieux de leur retour d’expériences, nous avons pris rendez-vous avec ses habitants, sur la commune de Saint-Jeures. C’est une journée grise, humide et froide. Serge m’invite à entrer et m’avertit immédiatement : zéro chauffage ! Force est de constater qu’il fait bon. Nicole est bras nus : « Au début, je n’étais pas convaincue par ce projet. Il n’existait pas de références. » Son époux rajoute : « Et il n’y en a toujours pas ! On construit le plus souvent les bâtiments passifs avec une ossature bois et une dalle. Notre maison est en parpaings montés à l’envers remplis de terre et isolée avec de la paille par l’extérieur. Je n’en connais pas d’autres comme celle-ci. ».
Un choix audacieux qui s’avère payant. Pour répondre à la norme BBC ou RT 2012, un bâtiment d’habitation ne doit pas consommer plus de 50 kWh EP/m2. La maison de Serge et Nicole fait mieux. Le label Passiv’Haus ? Il demande 15 kWh/m2. Cette maison fait encore mieux : elle ne consomme que 5 kWh EP /m2. Preuves à l’appui.
Une consommation énergétique de 5 kWh / m2 et par an.
Les trois premières années qui ont suivi leur emménagement, Serge a noté précisément la consommation énergétique quotidienne de la maison.
Des compteurs ont été installés sur chaque équipement : le four, le frigo, le congélateur, la VMC, le chauffeau solaire qui n’a besoin d’électricité qu’en plein hiver, et encore, pas tous les jours… La plus grosse dépense électrique ? Le congélateur.
Besoin en chauffage ? Une stère par an est brûlée dans le fourneau à bois et un insert de récupération. Ni plus ni moins. La balance qui trône dans le salon a confirmé : 1 tonne les premières années, et seulement 500 kg l’hiver dernier. Précisons qu’avec l’âge, le couple préfère vivre dans une température moyenne de 21°.
RÉSUMONS
Besoins en énergie de la maison 8 976 kWh EP/an
- électricité 2200 kWh x 2,58* = 5676 kWh EP
- gaz 2 ou 3 bonbonnes, 36kg estimés à 300 kWh
- bois 1000 kg estimés à 3000 kWh
* facteur de conversion énergie primaire/énergie finale
Production énergétique de la maison 3300 kWh /an x 2,58* = 8514 kWh EP
Des panneaux photovoltaïques ont été installés en bordure de toit, la totalité de la production est revendue à EDF. Soit une consommation énergétique tout compris de 462 kWh EP /an divisés par 169 m2 de SHON =2,73kWh/an/m2
Un résultat tout simplement génial.
Des choix audacieux
« Je n’ai rien fait de normal constate t-il. Même le maçon a trouvé l’affaire trop compliquée. il a laissé son matériel sur place pour que je finisse les fondations, j’ai monté les banches et il a coulé son béton. »
Recherche d’inertie
Le principe, c’est de choisir des matériaux qui vont stocker la chaleur, ce que ne fait pas une ossature bois.
– De la terre dans les parpaings montés à l’envers, une hérésie pour un maçon.
– Deux dalles de béton 170 m2, une entre le sous-sol et l’habitation, l’autre en plafond.
– Des murs trombes : derrière des vitrages dépolis (mais qui laisse passer la chaleur du soleil) 7 parois verticales en béton de 20 cm d’épaisseur, peintes en noir, ponctuent la facade sud à l’étage
- Sur le même principe, au garage, une autre paroi verticale en béton derrière un vitrage dépoli a été dressée, mais celle ci est équipé de circulateurs d’air. qui sont amenés aussi à la VMC ? Ou réchauffe l’air ambiant du sous sol?
Le choix de la paille comme isolant extérieur
En général, des petites bottes de paille viennent s’insérer à l’intérieur d’une ossature bois, ou encore, forment elles-même le mur porteur de la charpente (c’est un pari osé car la paille se tasse avec le temps, et les menuiseries ne fonctionnent plus)
Serge a choisi d’utiliser de grandes bottes de paille rectangulaires de 80 X 90 x 240 pour monter des murs extérieurs au nord, à l’est et à l’ouest et de les poser sur la dalle du plafond. Comme une carapace de paille autour des murs de la maison « sans aucun pont thermique » assure-t-il. « L’intérêt de placer l’isolant à l’extérieur, c’est que le mur est toujours à la température intérieure. » Confort assuré.
L’orientation bio climatique avec triple vitrage
Les surfaces vitrées au sud, avec une grande avancée de toit qui évite les réglages d’occultation.
Le mois le plus chaud, c’est octobre, quand le soleil est plus bas sur l’horizon, la température intérieure peut alors monter à 26 degrés, heureusement grâce au triple vitrage, on évite la surchauffe.
Apport solaire optimisé
Au niveau inférieur qui abrite le garage, je découvre un autre système de récupérateur d’air chauffé par le soleil. Une tôle peinte en noire est dressée derrière un vitrage dépoli.L’air s’échauffe dans l’espace créé entre la vitre et la tôle (isolée par une épaisseur de liège). Quand sa température atteint 30°, un ventilateur envoie l’air dans un circuit qui passe par les hourdis dub plancher de l’étage, dans le mur nord, et revient par la dalle du sous-sol jusque dans le capteur. L’hiver, par temps ensoleillé, la température dans le capteur monte à 70°. C’est un apport de chaleur bricolé de façon très maligne.
Le puits canadien
Aller chercher les calories où elles se trouvent, dans la terre. Une canalisation de 16 cm de diamètre coure dans le sol sur 40 mètres. L’air, à température quasi constante ( 10 à 13,5°) est utilisé pour réduire la consommation de la VMC double flux. Le truc de Serge : un petit ventilo rajouté au début du circuit a équilibré la pression à l’intérieur de la maison.
Les portes s’ouvrent vers l’extérieur, comme au Canada
Une astuce pour ne pas faire entrer des courants d’air froid dans la maison à chaque passage.
Le mobilier. Vous en reprendrez bien une tranche ? D’inspiration africaine, les meubles arborent des éléphants des rhinocéros ou des tortues en relief. Le projet est d’abord dessiné sous toutes les coutures, imaginé en plan de coupes transversales puis Serge découpe des tranches de bois qu’il assemble. Il a même fabriqué ses chaises.
Serge est un curieux, un fouineur, un têtu.
Il est remarquable qu’une habitation aussi aboutie ait été conçue et construite par un seul homme pendant ses loisirs. «J’ai mis 10 ans, tempère serge, et j’ai lu pas mal de trucs. En France, on a de la documentation sur l’inertie et la résistance thermique des matériaux, on peut calculer les apports solaires à partir des relevés des stations météos, on a des chiffres sur la performance des vitrages. Si on s’informe, qu’on réfléchit, et qu’on fait attention à bien orienter sa maison, alors tout le monde peut obtenir les mêmes résultats que moi. » Pour résumer, tente t-il encore, « J’ ai coulé du béton, monté des murs en parpaings et en bottes de paille » donnant la fausse impression que son travail ne demandait qu’une bonne condition physique et du courage.
Oui, on peut auto-concevoir et construire sa maison, mais quel travail ! Quel temps passé ! Et quel risque à courir aussi ! Parce qu’il arrive qu’on se trompe, et certaines erreurs peuvent être beaucoup plus problématiques que d’autres.
Si cet homme a la modestie de dire que tout le monde peut faire la même chose que lui, force est de constater que parmi toutes les personnes, étudiants en architecture et porteur de projets, qui se sont intéressées à son chantier, aucune, à sa connaissance, ne s’est lancée dans de l’auto-construction.
STRADA vous conseille la prudence et de solliciter les artisans locaux.
Vous voulez entrer en contact avec Serge ? Écrivez à Strada strada43@gmail.com qui transmettra.
Les livres de Serge
Avec 4 bouquins on peut se débrouiller
L’isolation écologique de Samuel Courgey et Jean Pierre Oliva, édition terre vivante : conception, matériaux, mise en oeuvre, « une bible, toutes les données sont là-dedans ».
La conception bioclimatique de Jean Pierre Oliva et Samuel Courgey, édition terre vivante.
L’énergie solaire de Jacques Bernard, édition Technosup ; calcul et optimisation des systèmes air, eau, panneaux photovoltaïque, panneaux solaire…
Construire en verre de Schittich et 5 coauteurs, Presses polytechniques et universitaires romandes
Son avis sur les pompes à chaleur :
« Installer une PAC, c’est cautionner le nucléaire ; on laisse des poubelles à nos enfants et c’est dangereux.
Il faut viser des constructions basse consommation ou passive pour se passer de chauffage. C’est pourtant pas sorcier, j’ai pu le faire ! «
Posté par Joëlle Andreys