Le 19 mars 2019
LA FORÊT COMME MOTEUR
Lük Déma dessinateur est né en 1964 au Maroc. Il s’est installé depuis plusieurs années en Haute-Loire après de nombreuses escales internationales. Lük Déma s’inscrit sans nul doute parmi les artistes hors pair du département.
Sa singularité n’est pas seulement due à son immense talent de dessinateur, ou à son parcours atypique. Ce qui frappe en premier, lorsque l’on rencontre Lük Déma, ce sont avant tout son extrême humilité et son humour pince-sans-rire. Plus fou encore : lorsqu’il s’agit de se dévaloriser, le brillant illustrateur n’y va pas par quatre chemins.
C’est ce que j’ai pu constater lors de notre entretien, dans son étonnante maison sur les hauteurs de Vals-près-le-Puy. Après m’avoir présenté avec admiration l’incroyable architecture des nids de guêpes accrochés aux lavandes de son jardin, comme un historien passionné devant un monument ancien, cet amoureux de la nature et des vieilles pierres m’a finalement fait entrer dans son salon. La pièce, chargée d’immenses plantes vertes et de dessins originaux, laisse sans voix. Pour autant, chaque fois que je m’intéressais à l’un de ses dessins accrochés aux murs, Lük Déma s’excusait presque de ne pas l’avoir « mieux » réalisé. Et même si je connaissais déjà son travail de précision, je n’ai pu que m’émerveiller à nouveau devant tant de détails, de profondeur et de poésie. Ses arbres, ses ruines et ses personnages s’apprécient de loin et se savourent de près, millimètre par millimètre d’encre de chine. Un sirop de menthe fait maison me fut servi avant d’entamer l’interview.
LE DESSIN : UNE VOCATION
Azelma Sigaux : Je sais que tu n’es pas originaire de Haute-Loire. T’y plais-tu ?
Lük Déma : En effet, j’ai passé mon enfance dans la garrigue, à Fréjus, juste avant la sur-urbanisation des années 1970. J’ai suivi ma compagne en Auvergne et je ne regrette absolument pas. Les forêts altiligériennes m’ont tout de suite attiré et je ne suis pas prêt de les quitter.
AS : Comment en es-tu venu au dessin ? As-tu pris des cours ?
LD : Je m’y suis mis tout petit. Au début, je dessinais n’importe quoi et surtout très mal.. Mais en s’acharnant, à force, on devient moins mauvais. A 15 ans, j’ai fait mon premier dessin « réaliste ». En voyant de quoi j’étais capable, mes parents étaient prêts à me payer les Beaux-Arts. Mais moi, je voulais faire de la paléontologie. Je n’ai donc suivi aucun cours de dessin. Je me souviens qu’un voisin peintre m’avait conseillé de bosser dans la pub. Heureusement, je n’ai pas donné suite.
AS :Pourquoi « heureusement » ?
LD : Parce que je déteste dessiner sur commande sauf si l’inspiration vient immédiatement.
AS :Des artistes t’ont-ils inspiré ?
LD : Oui, plusieurs. Le premier à m’avoir accroché quand j’étais petit, c’est Harold Foster, avec sa B.D. « Prince Valiant ». Le graphisme de ce type est inouï. Mon envie de faire du noir et blanc vient peut-être de là. Vers mes dix ans, on m’a offert un recueil de gravures du XIXème siècle, « Le tour du monde ». Les œuvres qui y sont rassemblées ont provoqué en moi un flash, un coup de cœur absolu. J’ai alors découvert tous ces génies oubliés, et ça a boosté ma motivation. Mais ma principale source d’inspiration, en fait, c’est la forêt.
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L’AMOUR DES FORÊTS
AS :Peux-tu me raconter ta première rencontre avec la forêt, dont tu te sens si proche ?
LD : Pour la fin de mes études, je suis parti faire ma thèse en Guyane et je me suis retrouvé dans la forêt tropicale. Les Tropiques, c’est ni plus ni moins l’apothéose forestière. J’en ai pris plein les yeux. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que je suis devenu ingénieur forestier.
AS :Tu ne vis donc pas de ton art ?
LD : Absolument pas. Je vis de l’expertise forestière en Afrique. Un métier que j’ai longtemps adoré mais dont je commence à me lasser car il est extrêmement difficile d’agir réellement pour l’intérêt de la forêt. Pour autant, ne pas vivre comme ‘dessinateur’ peut être un atout : ça permet d’éviter le stress de devoir « faire bouillir la gamelle » et de continuer de dessiner avec plaisir. Mais aujourd’hui, j’aimerais me faire connaître et me consacrer entièrement à mon art.
VISER PLUS HAUT
AS :Comment t’y prends-tu pour élargir ton public ? Tu te rends dans des salons artistiques ?
LD : J’en fais quelques-uns. Entre 2006 et 2010, j’avais publié une bande dessinée, dont j’étais l’auteur et l’illustrateur. Une trilogie qui s’intitule « Syst », alliant forêts et univers fantastique/SF. A cette époque-là, j’étais invité dans différents festivals. Maintenant, ce n’est plus vraiment le cas. Normal, je n’ai pas de nouveautés. J’ai fait un mailing aux galeries, mais sans résultat. J’essaye de faire des concours. J’ai gagné le 1er prix « dessin/graphisme » du 39e salon international artistique de Haute Loire en 2018.
AS : Pourquoi as-tu arrêté la B.D. ?
LD : Parce que je n’étais pas assez bon comme dessinateur de BD. J’ai préféré me lancer pleinement dans le dessin. Ce qui me plait avant tout, c’est la création pure. Mais la B.D. m’a fait beaucoup progresser sur les personnages.
« Me lancer dans un dessin qui me prendra 70 heures ne me fait pas peur »
AS : Décris-moi tes techniques de dessin, tes méthodes, tes thèmes de prédilection…
LD : Tu l’auras deviné, je dessine principalement autour de la forêt et des vieilles pierres, mais aussi des femmes. Parfois, je m’amuse à cacher des personnages dans la végétation. J’utilise toutes les techniques, de l’acrylique à l’aquarelle, en passant par le pastel gras selon les sujets. Mais ma prédilection, c’est l’encre de chine à la plume ou au pinceau, associée à une bonne dose d’huile de coude. Enfin, pour ce qui est de la dimension du support, j’ai tendance à l’augmenter avec le temps. A mes débuts, je dessinais sur des feuilles A4. Aujourd’hui, j’aime les grands formats, type 120 sur 80 cm et je prévois de faire encore plus grand.
AS : Ça doit te prendre du temps !
LD : Oui beaucoup : des dizaines d’heures par dessin. Mais mes délais de réalisation se réduisent. Au départ, je pouvais mettre trois ans pour une seule œuvre. Maintenant, ça me prend entre 10 jours et un mois et j’en réalise plusieurs en même temps pour ne pas me lasser. Me lancer dans un dessin qui me prendra 70 heures de travail ne me fait pas peur ; je suis très patient – dans ce domaine.
CRÉER AVEC LA NATURE
AS :Tu as des rituels pour dessiner ?
LD : Je n’ai besoin d’aucun contexte particulier, si ce n’est la continuité dans le temps. Quand je m’arrête trop longtemps, j’ai du mal à reprendre une œuvre en cours. A part ça, je peux très bien dessiner en écoutant de la musique, ou même en regardant une série à la télé. Pour ce qui est des idées, elles peuvent m’arriver comme des flashs ou me venir en dessinant. Plus je crée, plus j’en ai. Parfois, j’en associe plusieurs dans une même illustration, pour « densifier » le dessin. Mais j’ai beau prévoir, je suis souvent surpris par l’évolution de mes propres sujets. Un jour, j’ai voulu dessiner un escalier géant, qui est finalement devenu un petit détail au milieu des ruines et de la végétation. Je suis donc un éternel insatisfait et je peux reprendre un vieux dessin pour l’améliorer ou le refaire entièrement, même des années après.
AS : Je crois savoir que tu es un fervent défenseur de l’environnement. Cherches-tu à transmettre des messages dans tes œuvres ?
LD : Je ne pense pas qu’un dessin puisse changer le monde. Sauf peut-être « Guernica », quoi que je ne sois pas du tout fan de ce tableau. Mais c’est sans doute l’exception qui confirme la règle.
« Je ne pense pas qu’un dessin puisse changer le monde »
AS : As-tu d’autres passions ?
LD : Les balades dans la nature ! J’adore l’architecture médiévale, sans être un nostalgique de l’époque. J’ai d’ailleurs écrit et illustré un livre sur le Puy-en-Velay au Moyen-âge («El puei nostra Domna – chroniques du Puy aux temps anciens »). Je fais partie d’une association (« L’arc en main ») qui fait de la reconstitution historique lors de fêtes médiévales et au Roi de l’Oiseau. A cette occasion, je fabrique des arcs et des flèches.
AS :Pour finir, as-tu un rêve pour la planète ?
LD : Je souhaite qu’on arrête de la détruire, et qu’on respecte enfin la nature. Car il faut le rappeler : c’est elle qui nous nourrit.
Pour en savoir plus sur Lük Déma, consulter ses œuvres ou le rencontrer, n’hésitez pas à jeter un œil à son site web : www.lukdema.com. Vous pourrez également découvrir certaines de ses œuvres lors des évènements culturels auxquels il participe tout au long de l’année en Auvergne.
Posté par Solene SIGAUX