Le 17 décembre 2012
Singulier. Dans son sens le plus étymologique : un seul. Voilà le mot qui m’est venu à l’esprit à la fin de notre entrevue, après un énième café. Gilbert Pinna est un homme singulier, qui a su marier intimement ses passions : la littérature et le dessin.
Avouant « dessiner depuis l’âge de 3 ans », ce prof de philo du Puy – actuellement en disponibilité – a toujours eu le trait dans le sang. En 1989, il s’engage à produire un dessin humoristique d’actualité par jour, pendant 1 an. Pari tenu : 365 jours plus tard il auto-édite (à la photocopieuse !) un recueil : « Ceci explique cela », tout en pratiquant son métier de prof. 1990 le verra invité au Festival de BD de Moulins, aux côtés de Piem, Villemin, Margerin… Puis il enchaîne les expos en Belgique, en Pologne, participe à plusieurs ouvrages, réalise de nombreuses caricatures. Mais en 1997, il découvre l’encre de Chine : c’est un choc ! Son travail graphique en est profondément bouleversé ; le trait, libéré, peut enfin entrer en résonnance avec ses centres d’intérêt littéraires et philosophiques, pour se mettre au service des textes de Kafka, Camus, Sartre ou Duras…
Car si Gilbert est un seul, il n’est pas seul : de nombreux personnages l’accompagnent, l’habitent, et lui se laisse heureusement manipuler par cette population littéraire. Il la « digère » tranquillement, jusqu’au moment où – c’est impérieux, c’est le moment – il va la jeter sur le papier d’une façon fulgurante : l’encre coule directement du tube, pas le moindre poil qui ralentirait le geste, l’affaire est rapide, décisive. Oui mais voilà. Où l’on ne pourrait voir que des taches à peine emboîtées, Gilbert Pinna instille une finesse d’une précision qui fait mouche : un regard, une attitude, une ombre… Tout est là, l’histoire est posée en quelques traits, au spectateur de se laisser conduire. Parfois un texte – court – accompagne le dessin ; un indice, une piste, que l’on choisit de suivre ou non.
Mais pas question d’abandonner là ses protagonistes ! Ils se retrouvent dans un blog, régulièrement enrichi. Des passerelles sont créées de l’un à l’autre, s’entrecroisant pour construire une nouvelle œuvre, un récit fantasmé, qui lui-même sera peut-être le support d’une autre aventure graphique, qui sait ? Ainsi, l’écrit nourrit le dessin et le dessin provoque l’écrit, l’articulation est parfaite, le passage est fluide…
Singulier, je vous dis !
http://gilbertpinnalebloggraphique.over-blog.com
http://creative.arte.tv/fr/space/Gilbert_Pinna/messages/
– Joann Sfar (« le Chat du Rabbin »), virtuose du trait
– Fred (« Philémon ») et son trait gras, ponctué d’envolées
– Bruno Schulz, mort en déportation, auteur entre autres d’encres miniatures d’une très grande force
– Les photos d’Eric Dessert, miniatures en noir et blanc hors de l’espace et du temps
Posté par Anne Couriol