Le 20 juillet 2024
Ville en transition
Jean-Claude Mensch est le maire d’Ungersheim depuis 1989, réélu 6 fois. Sa ville est connue pour être la première Ville en transition en France. Ses actions dessinent un autre modèle, positif et résilient.
Le 21 mars dernier, il était à Yssingeaux, invité par le groupe local des Colibris des Sucs et par Les Résiliacteurs 43. Il participe à la première journée de l’Agora de l’accessibilité alimentaire.
Nous en avons profité pour interviewer cet homme inspiré et inspirant.
Quelles sont les initiatives de votre commune dont vous êtes le plus fier ou qui répondent le plus à vos aspirations ?
Il y en a beaucoup ! Mais ce qui compte le plus à mes yeux, c’est l’engagement sur le volet agro-alimentaire avec l’installation d’une ferme maraîchère. La création d’une régie agricole municipale et une restauration scolaire 100 % bio depuis 15 ans. C’est un ensemble. Il s’agissait de concrétiser la chaîne de la graine à l’assiette. En plus de l’approvisionnement de la cantine, nous transformons des surplus déclassés dans une conserverie, et nous livrons une épicerie participative.
Nous disposons donc d’une filière complète avec des équipements conséquents. C’est la partie la plus visible de nos réalisations. On a soutenu sur la commune un éleveur bovin installé sur 85 ha en bio. Et ça continue ! L’objectif à présent est de produire hyper localement des céréales nourricières, des oléagineux et des légumineuses. En fait, les terrains sont déjà là : il n’y a plus qu’à semer. À mon sens, le redéploiement de l’agriculture nourricière est primordial, car la France est de moins en moins indépendante en matière d’alimentation.
Votre dynamique écologique et inclusive n’est pas du goût de tous vos administrés, comment faites-vous passer votre vision pour emporter l’adhésion ?
On agit par l’exemple. C’est le seul moyen que nous ayons à notre disposition. Inutile d’envisager des moyens coercitifs, ce serait suicidaire ! On démontre que c’est possible, tout simplement. Et nous mêmes, dans notre vie privée, nous devons être exemplaires. C’est mon 6e mandat : quand on est entré dans le dur du projet (3e-4e mandat) on a essuyé les plâtres, on a failli ne pas être réélus… mais au dernier mandat, on est remonté à 70 % au premier tour. Cela montre que le projet est compris et accepté, même s’il ne l’est pas par tous et c’est normal.
Écologie contrainte ou écologie plaisir ?
Ce ne sont pas des antagonistes ! Il faut parler vrai : les échéances qui nous attendent sont dramatiques. Mais on peut le dire sous l’angle de l’humour, dédramatiser la situation, désirer un autre avenir, qui n’est pas obligatoirement moins agréable que notre présent… On tisse une autre façon de vivre, un autre mode de vie. Mais le changement est incontournable.
Il y a des efforts à consentir. Je suis végétarien depuis 30 ans, je ne prends pas l’avion (ou rarement), je me déplace en vélo… et je suis heureux comme ça. On n’est pas malheureux quand on doit renoncer à une accumulation de biens alors que c’est du lien qu’il faut rechercher. L’être humain n’est pas fait d’économie : il est fait de lien. Les valeurs qui nous animent ne sont pas matérielles. Elles sont sentimentales et spirituelles, dans le sens de ce qui nous relie à l’autre et à la nature. Les développer apporte du bonheur.
Si c’était à refaire, par où commencerait la transition écologique et solidaire dans votre commune ?
On a commencé il y a 20 ans par le biais de l’énergie, en développant le renouvelable. Notre commune est quasi autonome en énergie. On produit autant que consomment l’ensemble des habitants ajoutés à l’industrie (qui représente à elle seule deux tiers des besoins).
Avec le recul, on partirait plutôt de l’alimentation et de la démocratie participative (car dans ces deux domaines, le but, c’est de créer du lien, que ce soit à travers l’agriculture nourricière bio et locale ou à travers la prise de décisions). L’énergie suivra toujours.
Quelle évolution écologique et sociale imaginez-vous pour les prochaines années ?
Pour notre commune (et c’est l’objet d’un atelier avec Géorésilience aujourd’hui à Yssingeaux) j’aimerais arriver à instaurer un PCS (Plan Communal de Sauvegarde) qui prenne en compte l’approvisionnement alimentaire, pour répondre aux besoins en temps de crise… Mais il est évident que cela ne peut pas être appréhendé sur le seul secteur d’une commune ! Il faut penser aux communes autour ! En cas de catastrophe climatique, c’est très compliqué de répondre… D’un côté, nous avons besoin d’une réaction immédiate. En même temps, il est important de s’appuyer sur le lien, d’occuper les gens pour qu’ils ne cèdent pas à la panique.
Je pense qu’on est déjà dans le mur et l’étape prochaine, c’est d’éviter l’emballement climatique. On le disait déjà il y a 15 ans… on pensait arriver à juguler… mais on y est… on n’a rien réussi du tout, les choses s’aggravent. Avec l’emballement climatique, on ne maîtrise plus rien… Je compte beaucoup sur l’éco-féminisme, car ce sont les femmes qui sont les plus sensibles… Quand notre film sur Ungersheim est sorti, j’ai été sollicité pour témoigner : les salles étaient majoritairement occupées par les femmes, les questions étaient posées par les femmes… Alors j’ai pris connaissance de la notion d’éco-féminisme. Si on a échoué jusqu’à présent, c’est parce que la société est beaucoup trop masculinisée, trop directive, trop autoritaire…
Il manque de fraternité, de sororité, de maternité… il est important de donner la voix aux femmes (ou bien à ce qu’il y a de féminin chez les hommes). Fin septembre, on organise les rencontres de la biodiversité avec notamment une table ronde exclusivement féminine. On a besoin du regard féminin sur la société et sur différents domaines (agriculture, droit, justice sociale…).
Là où le masculin a failli, le féminin peut réussir…
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Posté par Les Résiliacteurs 43