Le 10 septembre 2020
LE RETOUR DU LOUP
Xavier Van der Stappen, avec l’aide d’experts et de soigneurs, a relevé le comportement des meutes et des familles de loups des parcs animaliers de France, de Belgique et du Luxembourg. Il a côtoyé le loup et d’autres carnassiers en Alaska, en Azerbaïdjan, en Pologne, en Ethiopie et en Afrique où il a mené des recherches sur le rapport de l’Homme à son milieu.
Dans son dernier livre, « AU LOUP ! Ami ou ennemi ? » Il tente de dresser un portrait réaliste de la situation de l’espèce, du rapport de l’Homme au Loup et des conditions de son retour.
Au loup !
Jamais un animal n’a déchaîné tant de haine ou de crainte que le loup.
Que ce soit sous les rois, les empereurs ou les présidents, le loup a, depuis la christianisation, incarné le Mal. En France, le loup fut exterminé en quatre siècles par un bras armé de l’Etat, les louveteries, qui mobilisèrent le peuple contre l’ennemi commun.
Aujourd’hui 600 loups sont recensés en France, mais aucune meute ne se serait installée en Haute Loire. Pourtant les spéculations vont bon train. Les acteurs du tourisme se frottent les mains tandis que les éleveurs craignent le pire et que les chasseurs promettent l’enfer au plus grand carnassier d’Europe. Le gouvernement, se positionnant du côté de ses derniers, a annoncé le prélèvement de vingt pour cent des loups existants alors qu’ils sont protégés par les lois internationales, européennes et nationales sans parler de l’article 214 du Code rural sur le bien-être animal.
En des temps bien reculés, nous étions animistes et respectueux des composants du règne animal.
Il y a 35 000 ans, le loup fut le premier animal domestiqué en s’intégrant à la meute des hommes-chasseurs.
Peu enclins à comprendre scientifiquement les mécanismes de la biodiversité, nos ancêtres Celtes puis Gaulois tenaient en grâce les animaux (notamment l’ours, l’aigle et le loup) au point de les élever au statut de symbole clanique.
Les Romains occupant la Gaule avaient eux aussi un profond respect du bestiaire sauvage et en particulier du loup ou plutôt de la louve, nourricière des fondateurs de l’Empire en la personne de deux enfants perdus : Remus et Romulus. Comme pour d’autres l’aigle, certaines légions romaines portaient un étendard siglé de loups, saluant par là même leur sens du devoir, leur cohésion au sein de la meute et leur stratégie commune lors des chasses.
Religion et guerre
La France du centre et du nord connaît une tardive conversion au catholicisme qui s’étend jusqu’à l’an mille. Au V ème siècle, l’évêque Saint-Loup (Lupus) est un grand convertisseur des peuples de Gaule. Puis, à l’image du berger protégeant le troupeau, l’église se met à désigner l’émissaire du diable en la personne du Loup et le flanque d’acolytes lycanthropes : loup-garou et autres créatures maléfiques. Le clergé étant allé trop loin dans sa diabolisation des croyances préchrétiennes, la figure de Saint-Hubert réconcilia auVIIIè siècle les hommes et les bêtes mais à l’exception du loup, victime du délit de gueule.
Rage, au désespoir du loup !
Durant le Haut-Moyen-Age, l’église scella définitivement le destin du loup en lui associant la propagation des épidémies et, notamment, l’une des maladies les plus craintes. La rage a, en effet, largement contribué à faire du loup l’émissaire de Santan. Atteint par la rage, n’importe quel animal s’attaque au premier venu, perd totalement son inhibition et surtout son instinct de survie. Lors des épidémies, des loups allèrent jusqu’à pourchasser les villageois au sein même des habitations mordant les animaux autant que les hommes !
La maladie emporte les victimes en quelques jours dans d’atroces douleurs et réactions convulsives qu’on attribua à une possession par le Diable tant les victimes sont hors d’eux jusqu’à leur mort. On ne mentionne que trop rarement le rôle des chauve-souris dans la propagation de cette maladie. Elle fut éradiquée à partir du XIXe siècle en Europe grâce à Louis Pasteur. Heureusement, les chiroptères ne subirent pas, en retour, le sort des grands canidés.
La peau du loup
A la diabolisation culturelle vient s’ajouter la merchandisation du loup. Les pelisses de loups faisant de bien chauds manteaux, les primes d’abatage accordées aux chasseurs vont provoquer l’accélération de l’éradication du carnassier. Plus le montant des primes augmente, plus la chasse s’intensifie au point de rendre inutile l’action des louveteries totalement dépassées par l’accélération du massacre. En Lorraine, soixante professions sont autorisées à chasser le loup, du sabotier au médecin, du colporteur à l’avocat. Les louveteaux font, les premiers, les frais de cette chasse puisque traqués dès la tanière.
Au XIXe siècle, les poisons remplacent les pièges à mâchoire et les fusils. La strychnine, alcaloïde très toxique, emportera les derniers loups et quantité d’animaux, d’oiseaux, de rongeurs. C’est en 1937 que le dernier loup est officiellement abattu dans le Limousin.
Un retour problématique
Qu’ils viennent d’Italie ou d’Allemagne, les loups parcourent de grandes distances en quête d’un territoire, d’une compagne ou d’une meute. Parcourant jusqu’à 150 kilomètres par jour, ils traversent un département en peu de temps. Seul, un loup a très peu de chance de survie car soumis à un stress permanent, du fait de l’activité humaine et du manque de petit gibier.
Le retour du loup apparaît comme l’une des bien rares bonnes nouvelles pour les environnementalistes, mais il est la bête noire des éleveurs (on peut les comprendre) et s’apparente à un concurrent pour les chasseurs. Il n’en est rien. Si le chasseur honorable vise le trophée, c’est à dire la plus belle proie, le loup élimine, lui, les plus faibles et les malades. Il serait même l’un des principaux acteurs de l’éradication de la peste porcine chez les sangliers en Lituanie !
L’animal qui déchaîne les passions
Chasseurs, braconniers, éleveurs, agriculteurs, citadins, environnementalistes, chacun y va de son approche tranchée et nul ne prend le temps d’entendre l’autre partie. Le loup provoque une véritable scission sociétale dont le politique profite.
C’est que le loup confronte l’homme à ses fantômes, à ses croyances, à ses peurs. Bien moins dangereux pour l’homme que l’ours, réintroduit à grands frais, le loup revient taquiner nos craintes ancestrales prouvant que l’homme moderne n’a guère évolué depuis l’homme médiéval. Nous n’intègrons pas encore l’importance de faire une place une place égale au autres espèces animales.
Le loup en Haute-Loire
Le département compte 40% de forêts, 50% de cultures et pâturages principalement occupés par des bovins et plus de 700 cours d’eau assurant l’hydratation de biotopes variés qui pourraient convenir au loup ainsi qu’un climat favorable. Cependant, la Haute Loire devrait « partager » ses loups avec les voisins (Cantal, Ardèche, Lozère) car une famille nécessite un vaste territoire de 100 et 350 km2 en fonction du nombre de proies disponibles. En HauteLoire, cet hiver, aucun indice de présence n’a été retenu. mais ces 10 dernières années, L’Observatoire Français de la Biodiversité recense une dizaine de communes où le loup a été signalé :
Ref. Office français de la biodiversité *carmen.carmencarto.fr/38/Loup.map
Au besoin d’espace s’ajoute le problème de la chasse et du braconnage qui risque de porter, à tout moment, un coup fatal au retour du carnassier.
Une politique claire doit être mise en place tenant compte des conditions actuelles de l’élevage et des moyens de prévenir les attaques (chiens en agropastoralisme, clôtures électriques, bergeries…) pour lesquels l’Etat pourrait intervenir financièrement. Mais est-il prêt à accompagner le retour naturel du loup dans nos contrées en mettant en place une politique volontariste et les moyens y afférant ? Aujourd’hui, il tente de concilier l’aspiration de la population à un meilleur respect de l’environnement, les règles internationales dans le cadre problématique des conséquences des changements climatiques, l’intérêt du monde agricole et le lobby de la chasse. Mais le loup ne s’installera durablement que dans le cas où il sera le bienvenu. Comme dans tout changement, l’évolution des mentalités par des actions de communication et la recherche de compromis afin d’atténuer les positions extrêmes seront le garant de la mise en place d’un projet commun.
Le loup est revenu frapper à la porte de notre monde bien organisé. Le rejeter montrerait que nous n’avons rien retenu des leçons du passé et sonnerait un peu plus encore le glas de notre déclin. Chaque jour, ce sont trente espèces animales ou végétales qui disparaissent. Le loup est un marqueur du rapport de l’Homme aux espèces animales emblématiques et de la place qu’il est disposé ou non à lui faire. Si le loup venait à disparaître à nouveau, l’homme le suivrait immanquablement.
« Au Loup ! Ami ou ennemi ? »
de Xavier Van der Stappen
Editions Weyrich
220 p illustrées, format 22 x 26 cm, 32 euros.
Parution octobre 2020
Commander le livre : cc.xvds@live.fr ou sur le site de l’éditeur
QUELQUES CHIFFRES
580 loups en France
L’espèce a dépassé le seuil d’aptitude à résister à l’extinction mais il faudrait 12000 individus pour qu’elle soit viable Ref. CAF loup 8 juin 2020
100 zones de présence permanente de loup en France.En Haute Loire, une présence occasionnelle, plus marquée en lisière de la Lozère. Ref. loupfrance.fr
10 communes concernées en Haute Loire ces dix dernières années.
Ref. Office français de la biodiversité (voir carte carmen.carmencarto.fr/38/Loup.map# )
3 742 attaques de loup en 2019 contre plus de 12 500 animaux dont 94 %d’ovins.
Chasse : Destruction autorisée.
*Le plafond annuel de tirs de prélèvement de loups était fixé à 10 % de l’effectif moyen annuel par le PNA 2018/2023, mais ce taux a été relevé à 17% en décembre 2019, augmenté d’un palier de 2% par an et de 2% de tirs de défense.
A VOIR
Le musée fantastique de la bête à Saugues
Le parc des loups à Sainte Lucie en Lozère
Posté par Xavier VAN DER STAPPEN