Le 10 septembre 2016
Il pourrait paraître parfaitement inutile, au pays de la dentelle, de s’enquérir des grands accords régionaux qui agitent les hautes sphères de l’économie internationale, des cabinets d’avocats en droit des affaires et quelques autres spécialistes des architectures futures des échanges mondiaux. Même si certains politiques clairvoyants s’alarment, beaucoup d’autres laissent faire par ignorance ou par conviction en un monde très largement déréglementer. Seules quelques associations d’entrepreneurs, de consommateurs ou plus largement de citoyens osent soulever le voile pudique* que les négociateurs européens et américains ont jeté sur ces accords dénommés TAFTA (Trans Atlantic Free Trade Agreement ) ou en français PTCI (Partenariat Transatlantique sur le Commerce et l’Investissement).
Quelle est donc la trame de ce taffetas (pardon TAFTA) qui avance masquer alors qu’au plus profond de notre champ de lentilles le plus reculé sa mise en application aura un effet … pour le moins certain ?
Lors de la fin du XXème siècle, les tentatives d’accords internationaux concernant le commerce des biens et des services, négociées au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce, avaient pour horizon la presque totalité des pays du monde (soit 98 % des échanges). Les difficultés rencontrées et les résistances (provenant des deux camps opposés que sont les ultralibéraux d’un côté et les régulationnistes de l’autre) à cette mondialisation des échanges ont entraîné une réorientation des stratégies des grandes entreprises multinationales et dirigé leurs puissants lobbyings vers une révision de la position des nations dominantes au sein de cet organisme. À savoir, les États-Unis (et par extension, l’ALENA), la Communauté européenne (et par extension, l’AELE) et la R.P. de Chine (et par opposition, l’ASEAN). Ces trois pôles dominants du commerce mondial (la triade fait 85 % des échanges mondiaux) ont révisé leurs positions stratégiques et conçu l’idée qu’à l’impossible nul n’est tenu pourvu … qu’il en tire avantage. Les conseils d’administration des plus grandes multinationales ont fait leurs comptes : si je peux améliorer mon efficacité globale avec quelques bons clients et faire juste un peu de marge auprès des autres c’est tout bénéfice. Exit les stratégies mondiales, on va faire du régionalisme (ou pour certains théoriciens, du continentalisme). Les gros (marchés) avec les gros (producteurs) et on va s’allier pour faire des zones les plus libres possible de toute réglementation ! Ainsi on va passer des traités, le plus discrètement possible, à des niveaux supranationaux (gouvernement fédéral pour les États-Unis, Communauté européenne pour nous, Association des États du Pacifique …). Comme il s’agit de choses sérieuses on n’informera les politiques, y compris les pouvoirs centraux des états nationaux, qu’au moment de ratifier les accords. Voilà pour la démarche !
Mais diable, pourquoi faire tant de mystères ?
C’est bien connu que les états ont une fonction réglementaire essentielle … parfois trop, dans le domaine économique : tarifs douaniers, taxes, règles de qualité, conditions sanitaires …. Ces règles sont pour l’essentiel conçues historiquement pour protéger, favoriser, défendre une partie de l’activité économique existante dans le pays (même si parfois elle gêne la fraction la plus agressive des créateurs des nouvelles formes économiques).
Avec, en toile de fond, les humains qui en sont les acteurs : producteurs, travailleurs, créateurs, consommateurs, usagers (un jeune enfant l’est alors qu’il n’est pas un consommateur actif) et les enjeux marchands futurs. La volonté de forcer le changement technique, économique et sociétal des grandes entreprises produit des cohortes de laissés-pour-compte dont le seul recours est un appel aux pouvoirs publics qui n’en peuvent mais …
Bénéfices privés exorbitants pour les uns contre des dépenses publiques croissantes, et nécessaires à la paix sociale, assumées par le plus grand nombre !
Et mes lentilles, dans tout ça ?
Imaginons que par magie (c’est le rôle magique du taffetas que de cacher… en révélant) nous puissions éliminer tous ces milliers de règlements qui gênent le libre commerce. Rêvons à un marché de 850 millions de consommateurs sans aucun recours possible contre les produits qu’on leur vend ! Le pied, n’est-ce pas ? Tiens, c’est justement la population de la zone couverte par le TAFTA. Fêtons cela avec un bon Champagne.
D’où ? Ben … de la région champenoise, bien sûr !
Mais non, vous n’y êtes pas ! Plusieurs AOC ont disparus, le champagne (notez la disparition de la majuscule) est un vin pétillant produit aux États-Unis selon une méthode proche de la nôtre mais au prix, livré en Europe, deux fois moins élevé !
Mais enfin, cher ami, ne voyez-vous pas tous les avantages de cette liberté de commercer pour les entreprises européennes ? À l’évidence les grandes sociétés continentalisées, voire mondialisées, à condition que leurs produits soient objectivement compétitifs, pourront rivaliser et conquérir une part du marché américain.
Qu’en sera-t-il de la myriade des TPE-PME qui n’ont pas la structure productive, ni financière, pour contrecarrer une offensive massive sur les marchés ? Les consommateurs auront-ils la sagesse d’ausculter les étiquettes (si d’ailleurs leurs contenus sont vérifiables et légaux) pour sélectionner les produits ou les services respectueux de l’environnement, des travailleurs, de la santé, des producteurs locaux ? …
Et notre lentille dans tout ça ? Elle sera concurrencée par une « Puy green lentils » sans aucune AOP, puisque cette règle aura disparu. À ce jour, la Commission européenne propose encore cette AOP, mais les Etats-Unis la refusent ! Lors des procès faits par les IAA*** exportatrices des pays signataires du Traité aux associations de promotion locale des produits d’un patrimoine ou d’un terroir, voire aux états concernés, elles auront toutes les chances de gagner.
Qu’il s’agisse de ces aspects commerciaux, de la finance, des brevets, des services publics, des législations protectrices – santé et environnement, par ex. -, du droit du travail (tiens, tiens !…), des marchés culturels ou de la justice commerciale, les accords « régionaux »** en train d’être négociés dans le secret nous concernent toutes et tous. Il s’agit d’une étape nouvelle dans la recherche du renforcement de la domination commerciale par les grandes sociétés multinationales industrielles et commerciales qui, soumises à la pression des marchés financiers, doivent plus faire de cash que de clashs. Voilà pourquoi ce sont de respectables gentlemen représentant les organes supranationaux qui négocient dans le plus grand secret effectif.
Ils n’ont de comptes à rendre que sous la forme d’un « private joke ».
À nous d’en faire un « public choice » enfin démocratique et distant des oligarchies !
Chatelaillon, le 15 août 2016, Georges Dussauce
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Humour ! … les contenus des phases récentes des négociations sont facilement accessibles … aux seuls négociateurs. Même nos élus (y compris européens) n’ont pas le droit de les consulter librement.
** Les mêmes démarches sont en cours dans l’accord Transpacifique (hors la Chine et quelques autres), le CETA (entre le Canada et l’Union européenne) et entre la R.P. de Chine et quelques pays d’Asie du Sud-est, sans parler d’un accord transatlantique sur les services !.
*** IAA : Industries agroalimentaires, les grandes actrices des prix sur les marchés mondiaux, entre autres sites, à la Bourse de Chicago. Des brevets à la distribution de détail, leurs ambitions sont de contrôler l’ensemble de la filière alimentaire productiviste.
Pour en savoir plus :
Du côté des favorables, une brochure intéressante à télécharger : http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ttip/index_fr.htm
et du côté des opposants : www.collectifstoptafta.org dont un document précieux et constamment actualisé, à consulter : http://local.attac.org/rhone/spip.php?article1860
Pour les TPE et les PME, voir l’Institut VEBLEN pour les réformes économiques : http://www.veblen-institute.org/Programme-MORE?lang=fr
Posté par Joëlle Andreys