Le suchaillou oeuvre d’art refuge
Depuis la route, le regard est happé vers le paysage grandiose du Velay volcanique. Ceux qui redescendent de la forêt du Meygal sont tentés de s’arrêter sur le terre plein pour savourer cette vue unique. Ils feraient bien. Dans le prolongement du parking enherbé, émerge un amas de pierre conique qui rappelle la forme des sucs du décor qui lui fait écrin. Certains pourraient n’y voir qu’un tas de cailloux. Les curieux découvriront un bâti de pierres sèches de toute beauté encastré dans la pente.
Le Suchaillou, c’est son nom, séduit et intrigue. Un dos de montagne, un toit en forme de dôme, une facade verticale face au paysage… Cette construction-bijou a été imaginée par l’artiste designeuse Constance Guisset, et réalisée par des artisans locaux. Tout à la fois abri et déclinaison contemporaine magnifiée d’une chibotte (ou bori), elle transmet la mémoire des abris paysans et fait la démonstration technique du savoir faire de ces bâtisseurs émérites.
Ce bâti d’exception fait partie d’une série de 7 oeuvres d’art refuges qui prennent place dans des villages traversés par le chemin de Saint Jacques de Compostelle. Conçu pour accueillir deux personnes en nuitée sur des banquettes en bois, le Suchaillou invite à la pause à toute heure du jour. On s’assied à l’intérieur et on admire, médusé, le travail de la pierre. L’assemblage de matériaux bruts a un rendu tout en finesse, mis en valeur par la lumière naturelle depuis l’occulus méridien avec vue sur le ciel. C’est simple et magnifique.
L’abri est entièrement bâti avec des pierres locales, sans mortier ni étaiement.
Un demi dôme de pierre coiffe la construction. Ils sont nombreux à se demander, mais comment ça tient ? Pour le comprendre, nous avons rencontré deux des artisans muraillers qui ont concrétisé ce projet artistique et patrimonial, François Januel de Malrevers et Mehdi Dolmy de Saint Pierre Eynac, tous deux membres du collectif Pierre sèche Haute-Loire.
Mais comment ça tient ?
L’édifice a été réalisé en lauzes de phonolite. Les habitants de Queyrières, sollicités par le maire, ont contribué généreusement en donnant les anciens tablards qui recouvraient les toitures des fermes avant rénovation. D’autres ont été achetées auprès de la Lauzière du Pertuis, la dernière carrière de Haute Loire en activité, tenue courageusement par Jean-Marc Pelissier, 72 ans, qui n’est pas encore prêt à rendre son marteau.
On n’en voit que l’extrémité, mais les plaques de lauze sont profondes, certaines mesurent jusqu’à 1,80 mètre, explique François Januel. Sachant la densité élevée du basalte, elles pèsent leur poids ! Les manipulations hasardeuses, sont vite pénibles, voire dangereuses. D’où l’intérêt d’un travail de réflexion collectif avant un déplacement. Chacune des pierres de l’encorbellement a été soigneusement choisie à plusieurs, acheminée et posée aux termes de discussions de 4 ou 5 personnes. Celle-ci est stratégique, précise le professionnel en la pointant du doigt – la néophyte que je suis a du mal à concevoir qu’il puisse faire la différence entre cette pierre et ses voisines – elle traverse toute l’épaisseur du mur ; on dit qu’elle fait la pince, elle sert de liant.
Compris. Mais au dessus de ce mur vertical, la voute, elle tient comment ? Petit à petit on fait dépasser les pierres vers l’intérieur, de 6 à 8 cm à chaque fois.
On continue de bâtir avec un fruit (une pente) de plus de 12 % vers l’extérieur, répond l’expert. Medhi développe : Pour créer ce volume, il a fallu en assembler plusieurs. Le mur vertical est surmonté d’un encorbellement en demi dome qui lui même est composé de deux modules – un intérieur et un extérieur. C’est le parement extérieur qui équilibre le tout, en rajoutant de la charge en inclinaison inversée.
Et d’expliquer qu’on ne voit qu’une toute petite partie de la construction. L’épaisseur des parois et la contre charge, toute aussi large, est cachée dans la pente du terrain.
Mais alors si on a deux pentes inversées, les eaux de ruissellement se retrouvent donc dans le coeur du mur ? Oui, mais c’est justement un des principaux avantages de la construction en pierre sèche : laisser passer l’eau au lieu de la retenir. Et les muraillers ont prévu une tranchée sous les murs et un système de drain sous le dallage pour acheminer l’eau et l’évacuer.
Contempler un paysage exceptionnel, faire halte sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle, dormir dans une oeuvre, admirer le savoir-faire en pierre sèche…
Des muraillers convaincus
François Januel soutient que partout où il y a de la pente les murs de soutènements en pierre sèche et les calades (chemins empierrés) sont appropriés : « Pour moi, un mur en pierre sèche c’est un drain bâti, il freine l’érosion et permet à l’eau de pénétrer dans le sol. Il existe des images qui montrent comment, lors de grosses inondations, des constructions béton se sont faites emporter alors que les murs en pierre sèche ralentissaient les eaux de pluies et retenaient le terrain. »
Pour le doyen des muraillers, écologiste convaincu, l’aspect utilitaire et durable de la pierre sèche est primordial. Alors que Mehdi, qui vient de la communication graphique et des musiques actuelles, souligne plus volontiers le jeu des lignes et des volumes, comme si il transposait dans le travail de la pierre, le regard, le rythme et l’harmonie qu’il appréciait dans son métier précédent. Mais tout deux se rejoignent sur le plaisir d’une réalisation collective, mise au service de la société.
Tout ce que l’on peut faire en pierre sèche se retrouve dans le Suchaillou
Linteau, jambages, murs verticaux, encorbellement, encadrement de l’occulus, drains, calade, parements d’ornement, incrustation de bancs dans la facade sud… Jusqu’à la création d’une table panoramique par le graveur sur lauze Jean-Pierre Julien et d’une fontaine sculptée par l’artiste Lucie Delmas.
Le collectif pierre sèche Haute-Loire
Le site collectif pierre sèche Haute-Loire
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Découvrir d’autres oeuvres d’art-refuges
Dans des villages où passent le GR65
Se rendre au Suchaillou
Col de Raffy, à 2 km du village de Queyrières, direction Le Meygal, via la D18
À pied : sur le GR65 entre le village de Queyrières et le Parking du chalet du Meygal
Posté par Joëlle Andreys